"Je le savais d'humeurs parfois ombrageuses. Ses Oiseaux n'ont pas eu la carrière qu'ils méritaient, parce qu'il ne savait pas les vendre avec diplomatie. Voici que je le découvre poète, amoureux du cirque, je veux dire le vrai cirque pas celui qu'on appelle « nouveau cirque » et qui vieillit mal, celui, modeste, qui va de villages en villages avec ses fauves mélancoliques enfermés dans leurs cages et nourris de chairs mortes, qui contemplent les vaches paissant tranquillement dans des prés tout proches. Ce régal inatteignable, il sait nous en créer l'image avec humour, tendresse et style.
Ce village, dont la quiétude tranquille de France profonde est dérangée par un petit cirque dont le patron ne sait ni lire ni écrire ni même parler, il m'a rappelé, allez savoir pourquoi, la sous-préfecture décrite par Jules Romains dans Les Copains et qui devait se situer quelque part entre Châteauroux et Salbris. Vous souvenez-vous de ce canular génial ? Un matin, vers quatre heures, un (faux) général suivi de son état-major débarque dans la caserne et fait lever tout le monde : on est en 1913. Exercice : quelle attitude doit adopter l'armée française face à une irruption in-attendue ? Ensuite, alerte générale : grande manoeuvre dans la cité. Voilà toute la population sur le qui-vive. Les trublions s'esquivent discrètement. Quand le jour se lève, militaires et civils s'interpellent, s'interrogent :
"Est-ce déjà la guerre ? Que s'est-il passé ? Quelque part quelque chose a changé. Mais quoi ? Et ce général, où est-il passé ?"
Je ne veux pas déflorer la saveur du récit de Raymond Peyramaure. Je crois que c'est à son insu que le clown qu'il raconte ressemble comme un frère à celui qu'Henry Miller évoquait dans Le Sourire au pied de l'échelle. Ueli Hirzel, le créateur du Cirque aux mille miroirs, du cirque Aladin, du Cirque O, du Que Cirque, l'a mis en scène sous le titre Histoire d'Auguste
Là encore, souvenez-vous de l'anecdote :
Auguste, l'immense clown qui a fait rire chaque soir des milliers d'enfants, d'adultes et de vieillards, n'est pas satisfait parce que cela ne lui suffit pas. Il voudrait que le monde entier soit heureux après qu'il soit sorti de piste. Et il voit bien que ce rire qu'il dispense n'est que fugitif, l'espace d'un moment. Alors il veut mourir, comme celui de Raymond.
Mais mourir, pour un clown, ça n'est pas forcément physique : il lui suffit d'enlever le nez rouge, le maquillage, les grosses chaussures, le trop grand manteau. Il redevient un homme ordinaire, qui se réveille dans un dortoir pour enfants. Et il disparaît de l'univers des clowns, comme les oiseaux (fous ?) se cachent pour mourir."
André Ginzburger, pour la préface de Charivari de Raymond Peyramaure
" Si l'on connaît Raymond Peyramaure, il est impossible de ne pas entendre son rire résonner dans Charivari. Un vrai rire de clown : une pulsion agissante, une spontanéité qui immédiatement fonde un revers réflexif et satirique. Clown, Peyramaure l'a été, non pour le cirque traditionnel qu'il décrit dans les pages de ce roman, mais pour le " nouveau cirque ", celui dont il a été l'un des précurseurs il y a une trentaine d'années.
Le propos est délibérément burlesque : un cirque fait halte dans un village sans histoires, monte le chapiteau, parade dans les rues jusqu'à ce que le directeur, affolé, annonce, dans une sorte d'" espéranto circassien ", l'évasion d'un fauve. S'ensuivent une panique inédite au village et des dialogues de sourds entre les gendarmes et les artistes... Il s'avère que ce n'est pas le lion qui s'est échappé du cirque mais le clown ! La traque du fauve se transforme en chasse au clown. Le clown voulait apprendre à lire...
Confrontation de deux manières de vivre. Pour Raymond Peyramaure, être artiste est un mode de vie, un mode de vie itinérant, absolument. Sa description du village est celle d'un " saltimbanque " nomade qui observe les " sédentaires " en spectateur. Du point de vue des circassiens itinérants, nous, les " assis ", faisons spectacle.
Peyramaure est un anarchiste utopiste : je sais qu'il croit fermement qu'un clown peut changer le monde... "
Céline Delavaux, " Regard de clown ", Cassandre, n° 69, printemps 2007, p. 96.
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