C'est d'abord une façon de se définir et d'être en accord avec ce que l'on essaie de vivre. Les peuples traditionnellement nomades voyagent pour exercer leur métier, ils ont conçu un mode de vie et des habitats adaptés à leurs activités. Un amalgame s'est fait entre ces deux pôles : vivre pour voyager et voyager pour vivre. C'est ce que j'ai découvert avec le cirque. Si je n'avais pas pratiqué le cirque, j'aurais peut-être vécu dans le voyage, mais je n'aurais pas vécu nomade dans le sens que je donne à ce mot.
J'ai été l'un des précurseurs du " nouveau cirque " en France, une appellation journalistique dans laquelle je ne me reconnais pas, lui préférant celle de " cirque de création ". À cette époque, il était très difficile de trouver des endroits où se former. La méthode la plus simple consistait à aller glaner quelques conseils auprès des cirques traditionnels pour ensuite faire sa propre " cuisine " avec ce nous avions appris. Dès que j'ai commencé à faire du cirque, j'ai donc beaucoup fréquenté les circassiens.
En même temps qu'un art, je découvrais un art de vivre totalement adapté à la pratique du cirque. Ce qui me plaisait dans le cirque - et qui malheureusement a tendance à disparaître - c'est cette indépendance vis-à-vis des diffuseurs, cette possibilité de monter son chapiteau au hasard de ses envies, d'apporter une salle de spectacle dans les villages les plus démunis en équipements culturels, de retrouver le vrai rôle du saltimbanque, d'aller à la rencontre des gens.
C'est aussi, quoi qu'on en dise, un mode de vie plus économique que celui de sédentaire. Enfin, en ce qui me concerne et aussi curieux que cela puisse paraître, c'est un choix lié à un engagement écologique. Je pense en effet que les problèmes de pollution ont commencé avec la sédentarisation de l'humanité.
De plus, il faut rappeler qu'un chapiteau est comme un grand voilier : Quand il est monté, tout peut lui arriver. Alors il vaut mieux ne pas le laisser seul ! J'ai vu, en Suède, un chapiteau exploser lors d'une tempête, parce que nul ne savait dans quel hôtel logeait la compagnie.
Pour avoir essayé de vivre à nouveau en sédentaire de 2003 à 2005, je sais que dans le nomadisme, j'avais trouvé le mode de vie qui me convenait. Ce n'est pas tant de vivre toujours au même endroit qui est insupportable, c'est de savoir que tout départ est problématique, que l'on ne peut pas partir sur un coup de tête, une impulsion, une urgence.
Et puis surtout, un oiseau peut-il expliquer pourquoi il est heureux de voler ?